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LA MÉDÉE (Fureurs et Fracas)

 

« Barbare et Féministe ,  ceste Médée » ?

- Décidément ce n'est pas clair !

 

Medea nunc sum

(Maintenant je suis Médée)

 

Sénèque, Medea, vers 910

 

Médée se venge d'un dépit amoureux, personnel, dans les deux textes antiques de référence, celui d'Euripide, comme celui de Sénèque, dont le texte de Jean Bastier de la Péruse est une sorte d'adaptation, qui, dans sa version complète, en reprend les personnages et même le choeur, tout en développant certaines scènes.

 

Mais chez les anciens, Médée ne plaide que sa cause.

 

Chez Euripide, elle assure sa « survie » auprès d'Ègée, et se retire sur son char après avoir simplement puni Jason et lui avoir prédit une mort médiocre, causée par un vestige du vaisseau qui lui apporta gloire, rendant ainsi concret l'adage de Nourrice :

« Souvent fortune aux hommes favorise / Pour renverser puis après leur emprise. »

 

Chez Sénèque, elle part de la même façon, sans toutefois prédire sa mort à Jason. 

 

Mais, surtout, dans ces deux versions, Médée n'a pas le dernier mot.

 

Comme il est traditionnel chez le grecs, la Coryphée conclut la pièce d'Euripide par une sorte de « morale » assez proche de l'adage de la nourrice, rendu concret par la fin prédite par Médée chez Sénèque, qui, lui donne le dernier mot à un Jason, définitivement « impie » et quasi nietzschéen :

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L'originalité, et la modernité du texte que nous avons adapté, sans rien changer des scènes que nous avons gardées (sinon en donnant à la Nourrice une partie du texte attribué au Gouverneur et en transformant la scène de dialogue qu'a Médée avec Créon en « prosopopée ») tient d'abord à cela : Médée a le dernier mot, dans le texte original comme dans notre adaptation.

Et ce dernier mot, dit qui elle est, in fine : « je suis une femme qui dépasse son histoire et celle de Jason, et s'affirme, en héroïne de la cause des femmes abusées et trompées, à qui j'apprends à ne pas subir le joug des pouvoirs » :

 

Qui aura désormais de faux amant le blasme,

A l'exemple de toy se garde du danger

Par qui j'apren mon sexe à se pouvoir vanger!

 

Cette extension de son « cas » à l'ensemble des femmes était déjà amorcé à la fin de l'acte I, quand elle décrit à Nourrice la relation « hommes-femmes » en des termes que les féministes contemporaines ne désavoueraient pas :

 

MÉDÉE 

[…] ô que folles nous sommes

De croire de léger aux promesses des hommes!

Nulle d'oresnavant ne croye qu'en leur coeur,

Quoy qu'ils jurent beaucoup, se trouue rien de seur!

Nulle d'oresnavant ne s'attende aux promesses

Des hommes desloyaux: elles sont menteresses!

S'ils ont quelque désir, pour en venir à bout

Ils jurent terre et Ciel, ils promettent beaucoup;

Mais, tout incontinent qu'ils ont la chose aymée,

Leur promesse et leur foy s'en vont comme fumée.

[…]

 

C'est un des moments où scéniquement, les deux femmes peuvent être proches, puisque c'est sur ce « terrain » que Médée entend attirer sa confidente-opposante, afin de donner, à sa cause, une universalité qui rend son désir de vengeance acceptable, voire « juste », au moins, au regard des femmes.

 

Sans doute était-ce, pour Jean Bastier de la Péruse, un moyen de rendre l'héroïne moins «monstrueuse», dans la mesure où entre l'antiquité et l'époque moderne, la notion de pitié, négative à Athènes est devenue positive dans l'idéal chrétien. Au lieu de la voir en négatif de l'idéal de justice de la cité, le spectateur veut désormais pouvoir s'identifier à elle : si ses actes font toujours horreur,  elle peut attirer la sympathie s'ils s'expliquent par une injustice qu'elle dénonce : ici, la cause des femmes. Cela suffit-il à effacer sa monstruosité aux yeux des civilisés ?

 

Certes Médée porte, par ce biais, un message positif et moderne malgré sa langue archaïque et son comportement barbare. Et Jason et les « civilisés » en apparaissent encore plus injustes, malgré leurs lois policées. Le fait qu'elle ait le dernier mot, en se posant en modèle à suivre par son « sexe », l'héroïse même, au sens moderne du mot. Mais cette héroïne reste, en même temps, une barbare !

 

« Medea nunc sum », soit. Mais elle est « quoi », Médée, maintenant, à la fin ? 

 

Même si elle a le dernier mot, Médée reste une énigme pour nos cerveaux « intelligents et sages » qui veulent tout construire d'avance conformément à des principes idéologiques de plus en plus autoritairement énoncés, aujourd'hui.

 

Comme les personnages de Shakespeare, un presque contemporain de Jean Bastier de la Péruse, La Médée reste, « hic et nunc », dans ce texte, mélange incohérent et discontinu de logique et de déraison, de barbarie archaïque et de défense d'une cause moderne, donc matériau absolu pour le théâtre, qui doit la traiter comme tel.

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