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LA MÉDÉE (Fureurs et Fracas)

 

« Sus donc Médée, sus ! » 

 

La vraie violence, c'est celle du cela va de soi.

[…] Un tyran qui promulguerait des lois saugrenues serait à tout prendre moins violent qu'une masse qui se contenterait d'énoncer ce qui va de soi.

 

Roland Barthes par Roland Barthes. (Seuil, écrivains de toujours, 1975).

 

Nous monterons donc La Médée comme Bertolt Brecht et Mathias Langhoff nous invitent à le faire, et nous laisserons le spectateur « faire sa construction ».

 

La projection en boucle, dans le hall d'accueil du théâtre, d'une courte vidéo de l'histoire de la conquête de la Toison d'Or par Jason et les Argonautes, sera le seul éclairage fourni au spectateur, non pour diriger sa lecture du texte, mais pour qu'il connaisse les événements auxquels Médée, Jason et Nourrice font allusion.

 

Dans l'incohérence apparente des actes de Médée, rendue sensible par toute sorte de contrastes textuels :

- entre la violence exprimée par ses mots,et sa rigueur de rhétoricienne ;

- entre son sens rationnel de la justice et sa vision magique du monde ;

- entre la cruauté archaïque de sa vengeance monstrueuse et sa sensibilité moderne au sort des femmes ;

on reconnaîtra l'incohérence d'une destinée humaine, portée par quelqu'un qui n'a aucun intérêt d'y mettre plus d'ordre en parant une idée, qui ne peut être qu'un préjugé, d'un nouvel argument qui ne provient pas de sa vie propre, marquée par sa rencontre avec Jason et ses suites malheureuses, comme Nourrice le rappelait dès le prologue, librement adapté de celui d'Euripide.

 

Sans chercher à rendre cette incohérence plus claire, le théâtre laissera énigmatique la nature obscure de ce matériau absolu, afin que le spectateur le reçoive en interrogation, et non en certitude qui va de soi, comme l'époque voudrait nous l'imposer, au mépris de la liberté de penser et de construire par nous-même.

 

C'est par la rigueur d'une proposition théâtrale assumée, par des moyens qui lui sont propres (proxémique, diction, costumes, lumières, accessoires) que le texte écrit pour dire les mots de Médée, sa syntaxe et sa versification, à la fois émotives et rigoureuses, sera rendu fidèlement dans sa diction archaïque, en contraste avec les mots de Nourrice et Jason, traités de manière plus contemporaine et avec distance.

 

Ainsi restera suspendue en énigme la figure mythique, an-historique, d'une Médée parlant une langue dite morte et pourtant vivante, maintenant et ici.

 

Figure échappant dès lors à toute simplification, puisque trop complexe, elle ne pourra être perçue ni en modèle à qui s'identifier ni en monstre absolu.

 

Elle constituera, au mieux, le pivot à la fois éternel et actuel, flottant, instable, d'un débat, lui aussi éternel et toujours irrésolu, avec elle-même et avec les figures portées par ses partenaires, comme avec nous-même.

 

Jean Monamy

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