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LA MÉDÉE (Fureurs et Fracas)

 

La Médée et la question de la barbarie, dans les textes.

 

MÉDÉE

Ce n'est pas là ce qui te retenait : ton union avec une Barbare aboutissait pour toi à une vieillesse sans gloire.

 

Euripide, Médée, vers 591 – 592, traduction, Henri Berguin

 

À la différence de Sveta et Laure « monologuant » leur révolte sans autre violence que celle des mots ou de la Danseuse dont le débat avec les « dictatures arrangées » se résout dans une mise en scène macabre inachevée, Médée, passant à l’acte, pose très concrètement les questions déjà débattues chez Euripide, tant par La Coryphée que par Médée  :  « Qui est barbare ? Qui est juste ? » 

 

Comme ceux que nous appelons aujourd’hui « barbares » ou « terroristes », Médée a un comportement apparemment dicté par un « extrémisme » d’essence « religieuse » (tout son discours est ponctué d’appels aux dieux et d’accusations de « blasphème » de la part de Jason) en contradiction avec un comportement civilisé, fondé sur des raisons politiques dont elle refuse la valeur.

 

Une différence existe entre les grecs, et notre civilisation : c'est la capacité à mettre en question le « socle » de cette civilisation : le logos. Ainsi chez Euripide, ce reproche de barbarie, Médée le récusait par un double renversement. D’abord, Médée renvoyait Jason à la « barbarie » d’un discours qui rend « juste » « l’injuste », autant en lui disant ne pas partager le point de vue de ses mots, qu’en lui affirmant qu’elle peut aussi d’un mot renverser sa vérité. 

 

Comme sa voix, seule ne pouvait suffire à convaincre les citoyens d’Athènes, la Coryphée, qui porte dans le théâtre grec, la voix de la cité et de la raison, est de son avis, et conteste aussi la valeur morale du discours de Jason dont elle ne loue que l’habileté :

 

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Ainsi, maniant avec art, elle aussi, le logos, Médée fait déjà porter, chez Euripide, la responsabilité de ses crimes sur celui à qui le crime profite : Jason. Elle n’a tué, que par amour pour lui, et ne se vengera que de cet amour trahi. D’abord elle n'a tué que pour l’aider dans sa quête, (crimes anciens) ; ensuite elle ne tuera que pour effacer les « fruits », les traces, d’un « faux-amour » et pour punir la trahison.

 

En revanche, apparemment, la langue de la Médée de Jean Bastier de la Péruze, « éructée » dans la prononciation d'époque, ne ferait donc de l'héroïne, qui ne parle pas la langue de ses accusateurs, que « LA barbare » que rejettent à juste titre Jason et Créon, comme tous les « tenants de l’ordre » qui rejetaient Sveta, La Danseuse ou Laure !

 

Cependant, quelle que soit la langue de ceux qui la maîtrisent, la rhétorique dont usent les civilisés peut justifier traitrise et abus de pouvoir, ne peut-elle aussi justifier la « vengeance », qui certes n'est pas la justice, pas plus que le traitement réservé à Médée ne relève d'une quelconque justice, et ce d'autant plus que si elle n'obéit pas à l'ordre de Créon, elle périra avec ses enfants !

 

Jean Bastier de La Péruse conserve l'argument « amoureux », dans le refus qu’a Médée de porter le poids des crimes commis pour la quête de la Toison d’Or. Et s'il ne critique pas explicitement la manipulation de la rhétorique, il le fait implicitement par la manière dont son héroïne démontre « l'injustice » de Créon et Jason non seulement avec une grande rigueur, mais avec un grand souci de la « justice ». Elle ne nie pas ses crimes, elle demande simplement qu’on reconnaisse aussi les bienfaits qu’ils ont apporté aux « héros de la Grèce » :

 

Tous les Heroës Grecs que la toison dorée,

De tant d'hommes hardis à l'enuy désirée.

Fit mettre sur la mer, ne fussent retournéz,

Sans mon secours, au lieu auquel ils estoient nez.

Ores, par mon moyen, la fleur de la noblesse

Et la race des Dieux triomphe dans la Grèce.

Ny les frères jumaux, ny Lince cler-voyant,

Ny celuy qui vangea Phinée larmoyant,

Ny celuy qui du son de sa jasarde lire

Les touffues forests et les pierres attire,

Ny tous les Miniens, sans avoir mon support,

Ne fussent revenus en Grèce prendre port.

 

Pour établir une justice équitable, elle ajoute, preuve d'un talent à manier le logos aussi manifeste que celui que lui octroyait Euripide :

 

Voy la force d'amour, voy le bien que j'ay faict,

Et compare les deux avecque mon forfaict;

Et, contrebalançant le bien avecq' le vice,

Fay-moy, à tout le moins, équitable justice.

Je ne veux pas nier qu'il n'y ayt faute en moy,

le ne veux, point aussi m'excuser devant toy;

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